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Francis Marmande a accompagné Jazz à l’ECUJE dès ses débuts, avec une exigence et une liberté rares. Par ses mots, son écoute et sa présence fidèle, il a contribué à faire de ce lieu un espace vivant de jazz, de rencontres et de partage. Cet hommage est une manière de lui dire merci.
Francis Marmande nous a quittés le 25 décembre. Avec lui disparaît bien plus qu’un journaliste ou critique de jazz. Disparaît une plume rare. Sans doute l’une des plus justes, des plus sensibles, pour dire le jazz en langue française.
Francis écrivait comme on improvise. Avec une liberté évidente, mais jamais gratuite. Une rigueur profonde, presque cachée sous l’élan. Une érudition immense, toujours légère. Il savait que le jazz ne se décrit pas vraiment. Qu’il se raconte, qu’il se respire, qu’il se partage. Il en parlait comme on parle des êtres que l’on aime, sans distance, avec une attention extrême aux silences, aux failles, à ce qui se joue dans l’instant.
À titre personnel, j’ai découvert Francis Marmande à la faveur du lancement de notre saison Jazz en 2020. Pour Olivier Hutman, pianiste reconnu et programmateur de Jazz à l’ECUJE comme pour Juliette Poitrenaud, notre jeune attachée de presse, susciter son intérêt relevait de l’improbable, presque d’un aboutissement. Il incarnait une exigence, une liberté, une autorité dans le monde du jazz que l’on n’ose pas solliciter à la légère.
Et pourtant, Francis est venu.
Il a écouté.
Il est revenu.
Pour l’ECUJE, Francis Marmande a alors compté. Beaucoup.
Il a été un soutien essentiel. À travers plusieurs articles publiés dans Le Monde, et notamment celui de décembre 2021, il a mis des mots sur ce que je cherchais à construire sans toujours savoir le formuler. Quand il écrivait que l’ECUJE devait être « un lieu de brassage permanent des idées et des hommes, sans exclusive », j’ai su qu’il avait vu juste.
Il est devenu, très naturellement, un habitué de nos concerts Jazz à l’ECUJE. Je le croisais souvent dans la salle, assis à une table, attentif, concentré. Il écoutait vraiment. Et puis il y avait ces soirs, plus rares mais tout aussi révélateurs, où Francis se levait avant la fin du premier set. Sans bruit, sans commentaire. Ce n’était ni de la désinvolture ni du mépris. C’était sa manière à lui de rester fidèle à son oreille, à son exigence.
Il aimait l’ECUJE pour l’accueil, la simplicité, la convivialité avec l’équipe. Pour cette atmosphère sans posture, sans faux-semblant. Il venait écouter, échanger quelques mots, toujours justes, toujours précis.
Un lien fort l’unissait à Olivier Hutman. Francis respectait profondément son travail, la qualité de sa programmation, son exigence et sa fidélité à l’esprit du jazz. Il avait su décrire avec une justesse remarquable ce qui se jouait dans cette musique et dans cette relation. À propos du duo formé par Olivier Hutman et Stéphane Belmondo, il écrivait : « Deux musiciens de haut vol, exposant les thèmes à la perfection, tombant pile sur les fins de phrase, se déjouant, aimant à se surprendre, incapables de cette rivalité que les durs d’oreille prêtent au jazz. »
Tout est là : l’écoute, la confiance, la justesse, le refus de l’esbroufe. Cette phrase dit aussi ce que Francis reconnaissait chez Olivier Hutman : une musique tenue par l’exigence, mais portée par la générosité et le sens du collectif.
Par sa plume, Francis Marmande a offert à Jazz à l’ECUJE une reconnaissance rare, profonde et durable.
Il n’a pas seulement parlé des concerts et des artistes. Il a inscrit un lieu dans une histoire. Il lui a donné une mémoire immédiate, une légitimité sensible. Je sais ce que nous lui devons. Je le sais profondément.
Olivier Hutman me rappelait que, enfant, Francis passait chaque jour devant la synagogue de Bayonne pour aller à l’école. Il est resté sensible à l’histoire et à la culture juives. Cela dit peut-être quelque chose de son regard sur l’ECUJE.
Dans la tradition juive, on dit que le souvenir est une forme de présence.
Zikaron n’est pas un regard tourné vers le passé, mais une manière de continuer à faire vivre ceux qui nous ont précédés, à travers leurs paroles et leurs traces. Francis Marmande laisse des mots qui continueront longtemps de résonner. Comme une phrase musicale que d’autres reprendront, transformeront, prolongeront.
À l’ECUJE, chaque note de jazz jouée, chaque table ronde éclairée, chaque écoute partagée portera désormais, en filigrane, quelque chose de son regard, de son exigence et de son écoute.
Il va beaucoup nous manquer.
Que sa mémoire soit une source de bénédiction pour ses proches et pour tous les amoureux du jazz.
Et que sa plume, libre et fraternelle, continue de nous accompagner.
Gad Ibgui
Directeur général de l’ECUJE

